PIERRE LE GRANG

Auteur :
HENRI TROYAT

Genre :
HISTOIRE, Politique

Maison d'Edition :
FLAMMARION

Tout en craignant le ciel, cet homme n’a pas renoncé à la terre.

Certes, elle a 20 ans de moins, mais la différence d’âge n’inquiète pas le fastueux visiteur. Tout au contraire, il compte sur cette fraîcheur pour ranimer ses sens engourdis.

La conscience de son extrême laideur, loin de l’inciter à la modestie, exalte son ambition.

Du poil au visage et des ulcères aux jambes.

Il ne faut jamais désespérer les vaincus. Ce serait leur donner le goût de la revanche.

Le petit Pierre pris conscience des effets bénéfiques de la fermeté dans les cas d’insurrection populaires. Noyer l’émeute dans le sang et gracier les survivants dès que le péril en conjuré. Cette leçon, le jeune Tsar s’en souviendra toute sa vie.

A chaque instant, son désir de tolérance est étouffé par les nécessités du pouvoir absolu.

Il l’a sert au lit et à sa table avec ardeur égale.

Les lois communes ne peuvent s’appliquer à un être d’exception.

Quelque aventuriers se sont glissés dans le tas. Mais, pour la plupart, ces émigrés sont des gens honnêtes et capables, animés d’un vif esprit d’entreprise.

Différents par leur naissance, leur langue, leur religion, ils sont néanmoins soudés en un seul bloc par la conscience de leur dépaysement au sein de la Russie.

Il va à l’excès dans la décision et l’action pour triompher de sa timidité congénitale.

En politique, la mansuétude est rarement payante.

Le pitoyable Ivan, oublié au fond d’un appartement du Kremlin, consacre tout son temps à sa femme qui le trompe et à ses filles qui ne sont probablement pas de lui.

La soulerie est un moyen de gouvernement.

Le devoir d’un homme est d’e gouter tous les plaisirs de la terre, non de regarder obstinément dans le trou qu’on vient d’y creuser.

Ce parti pris de modestie, qui est un des traits de son caractère, cache, en réalité, un orgueil profond.

La véritable grandeur se moque du titre, de l’habit et du décor.

Toute sa vie durant, il affectera d’être moins bien logé et moins bien vêtu que les autres, afin de démontrer que son pouvoir ne doit rien aux signes extérieurs dont trop de monarques s’entourent par crainte de n’être pas respectés. Il y a en lui un bizarre mélange de bouffonnerie et de sérieux, de débridement et d’application.

Tout en aimant les femmes, le tsar ne dédaignerait pas, le cas échéant, une incursion dans l’autre camp.

Il éructe des discours décousus où les obscénités alternent avec des citations bibliques.

Colosse, primitif, débordant de force et de sève, il obéit à des instincts élémentaires venus du fond des âges.

Les sourire alternent avec les crocs-en-jambe.

Le bonnet de moine n’est pas fixé à la tête par un clou (kikine)

Le même souci d’efficacité, de rendement humain incite Pierre à ouvrir les rangs de la noblesse aux gens de médiocre extraction.

Dans des moments graves, cet homme a du ressort, de l’invention et du courage.

Ce n’est pas une tendre réconciliation, l’acception amère d’un état de fait.

Il a voulu orienter la religion non vers les mystères de l’au-delà, mais vers la misère d’ici-bas, moins mystique et plus pratique. Tout comme les autres institutions de l’Etat, la religion doit concourir au bien-être et à la grandeur du peuple.

Chacun veut voir, immobile, couché et silencieux, l’homme qui a tant couru, tant frappé, tant crié pour tirer la Russie de son engourdissement séculaire.

Avec une obstination farouche, il a toujours sacrifié le bonheur des Russes à la gloire de la Russie.

Il a renfermé en lui toutes les contradictions et s’est laissé emporter vers tous les excès avec une égale insouciance.

Peut-on juger selon la morale courante ce géant bouillonnant d’instincts élémentaires ?