LES EYGLETIERE : LA FAIM DES LIONCEAUX

Auteur :
HENRI TROYAT

Genre :
Roman

Maison d'Edition :
FLAMMARION

Elle secoua la tête, et sa folie tomba en morceaux autour d’elle.

L’inconnu était plus rassurant que le connu.

De part et d’autre, s’étalait une campagne sage, divisé, ratissé, peigné à la française.

Le sentiment de sa richesse lui enfiévrait la tête.

Une prodigieuse incapacité à concevoir que ses proches pussent avoir des intérêts et des soucis autres que les siens.

Daniel, fût-ce dans l’échec, affichait un aplomb de vainqueur ; lui, fût-ce dans le succès, conservait une appréhension de vaincu.

La vie, pour eux, était lisse comme une autoroute, claire comme un verre d’eau.

Son visage ouvert rayonnait de certitude.

Une nombreuse parentaille.

Rien d’étonnant qu’il réussît mal dans ses études, avec cette obsession qui le tiraillait par en bas.

Elle avait l’impression de vivre dans un univers où rien n’était solide, sûr, décidé, où tout pouvait changer au moindre souffle de vent.

Il la plaignit et lui dédia un regard qu’elle saisit au vol avec reconnaissance.

Il faut vivre avec la constante possibilité de perdre son temps, d’appliquer son attention à des choses qui ne rapportent rien, de se moquer des règles et des principes.

Habitué à des visages jeunes et nus, qui se laissent aisément déchiffrer, il n’arrivait pas à définir le caractère de cette femme, protégée par un mystère conventionnel.

A notre époque, il faut que chacun des conjoints ait une entière liberté de manœuvre en ce qui concerne son patrimoine personnel.

Enlève les chants, enlève l’office, que reste-t-il de l’empire du christianisme sur les âmes ? C’est toute la partie artistique et administrative de la religion qui me hérisse. Pour trop de gens, vivre selon l’Eglise, c’est prendre une assurance tous risques contre les accidents de la pensée !

Elle a compris que ce n’était plus possible de rester comme ça, sur les hors-d’œuvre. Et moi, je ne tiens plus le coup. J’ai envie de tout casser.

C’est en aidant trop les jeunes dans leurs débuts qu’on fait leur malheur dans l’avenir.

Il s’agissait moins d’échanger des propos que d’empêcher le silence de s’installer.

La femme, lorsqu’elle ne vit plus que pour un homme, a le sentiment de s’accomplir dans la perfection, l’homme, lorsqu’il ne vit plus que pour une femme, a le sentiment de renoncer à être lui-même !

Pourquoi faut-il que le bonheur conjugal des jeunes s’accompagne toujours d’exhibitionnisme ? Ils sont persuadés que la vue de leur plaisir ne peut que procurer du plaisir aux autres.

 

Elle n’était plus rien qu’une matière à donner et à prendre du plaisir.

 

Il est né avec un certain capital de chance et de malchance. Il fera sa vie avec ça.

Elle avait tout de suite flairé autour d’eux une atmosphère de complicité charnelle.

La méchanceté vous rend idiote.

Ce visage de petite femelle malfaisante.

Sans doute même trouvai-elle plus de goût aux juvéniles assauts de son beau-fils qu’à ceux de son mari.

Tromper un ami, c’est plus grave que tromper une femme !

Il s’assit et soupira, accablé par le sentiment d’être un clochard de l’amour.

Il y avait tant de place perdue à Paris ! Des appartements de quinze pièces où végétaient deux ancêtres grelottants, des chambres de bonne vides, des bureaux inoccupés… l’esprit était saisi de vertige à l’idée de ce gâchis locatif.

C’est l’éternel combat des bâtisseuses de nid contre les avaleurs d’horizons.

« Je me prolonge. Je me dédouble. Je me mets au monde sous un autre visage ! » L’orgueil du créateur le pénétra.

Ces aumônes de l’Etat aux pondeuses d’enfants.

On n’est pas un homme tant qu’on ne gagne pas sa vie ! Et, quand on n’est pas un homme, on ne se marie pas !

A croire que le plus important dans l’existence ce n’était l’existence elle-même, mais son décor.